Alors que l’économie libanaise est toujours au fond du trou et que les perspectives de déblocage de la formation du gouvernement restent incertaines, la Banque du Liban (BDL) a annoncé dans un communiqué dimanche soir qu’elle préparait avec les banques un « mécanisme » devant permettre de « rembourser » les dépôts en devises des clients.
Des montants dont l’accès a été drastiquement restreint par les établissements du pays depuis le début de la crise sans que les parlementaires ne légalisent le processus via une loi de contrôle des capitaux et qui ont ainsi favorisé l’effondrement que connaît la livre libanaise, qui gravite à un niveau équivalent à près de 10 fois la parité officielle de 1 507,5 livres pour un dollar.
Dans son communiqué publié par son service de presse, la BDL affirme être actuellement en train de « négocier » avec les banques dans le but d’adopter un « mécanisme » à travers lequel ces dernières vont commencer à « rembourser progressivement » à leurs clients les dépôts qui étaient enregistrés à la date du 17 octobre 2019 et qui le sont toujours au 31 mars 2021. Ces remboursement pourraient être plafonnés à 25 000 dollars, qui seraient décaissées dans cette monnaie « ou en toute (autre) devise ainsi que l’équivalent en livres libanaises », sans mention faite du taux de conversion, soit 3 900 livres pour un dollar comme pour les retraits autorisés via la circulaire n°151 d’avril 2020 ou au taux du marché parallèle actuellement autour de 12 500 livres le dollar. « Ces sommes seront versées par versements échelonnés sur une période qui sera prochainement déterminée par la BDL » a poursuivi l’institution avant de fixer au 30 juin 2021 le début de cette opération, « sous réserve » que la mesure soit entérinée par une loi – sans qu’il ne soit indiqué de quelle loi il s’agit.
Contacts informels
Selon plusieurs sources bancaires concordantes, certains contacts informels ont pu être effectivement faits entre la BDL et les directions des banques mais sans plus. « Il n’y a pas eu, à ma connaissance, de réunion formelle consacrée au sujet mais il est possible que le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, se soit entretenu de manière informelle avec des membres du Conseil d’administration de l’Association des banques du Liban (ABL) » a spéculé l’une des sources interrogées. Contactée, l’ABL n’a pas fait de commentaire.
Une autre source bancaire rappelle que la dernière annonce de la BDL survient alors que la Commission parlementaire des Finances et du Budget devrait en principe se réunir bientôt pour poursuivre l’examen d’un projet de loi instaurant un contrôle formel des capitaux, un processus occulté tout au long de la crise, malgré la nécessité de légiférer pour limiter la panique bancaire, mais que les élus ont subitement décidé de relancer il y a quelques semaines. Certains experts jugent d’ailleurs que la mise en place d’un contrôle formel des capitaux aujourd’hui pourrait se révéler contre-productif dans la mesure où plusieurs milliards sont déjà sortis du pays dès le début de la crise par des clients privilégiés des banques (banquiers, personnalités politiquement exposées et grands déposants), aux dépends de déposants plus modestes. Si le Code de la monnaie et du crédit confère pourtant à la BDL la prérogative d’intervenir temporairement sur le marché bancaire pour limiter la circulation des capitaux, l’institution est finalement intervenue à d’autres niveaux, notamment en mettant en place le mécanisme de la circulaire n°151. Les sources interrogées s’étonnent d’ailleurs du fait que la BDL affirme attendre une loi. « Au-delà de celle du contrat qui les lie lorsqu’un dépôt est ouvert, il n’y pas besoin de nouvelle loi pour rendre légal le fait que les banques laissent les déposants retirer leurs propres fonds dans la devise dans laquelle ils ont été déposés », martèle l’une d’elles.
Autre question majeure : comment les banques vont-elles financer ses remboursements. Une source financière suppose pour sa part que, vu la baisse de ses réserves de devises, la BDL devrait demander aux banques de financer ces remboursements via leurs liquidités en devises, notamment celles qui ont dû être déposées sur leurs comptes auprès de leurs banques correspondantes, conformément à la circulaire n°154 adoptée fin août (avec l’objectif de 3 % des dépôts en devises détenus à fin juillet 2020). Une piste avec laquelle beaucoup de banques ne seraient pas en phase, poursuit-elle.
La source met également en exergue le fait que la BDL a demandé la semaine dernière aux banques de lui transmettre également les données concernant les comptes en livres et en devises entre le 31 octobre 2019 et le 31 mars dernier. Une demande incluant les comptes de fonds « frais », ces montants en devises transférés – de l’étranger ou en espèces – vers le secteur bancaire libanais après le 9 avril 2020 et dont les banques ne peuvent en principe pas limiter la circulation, comme le garantit la circulaire n°150 publiée ce même jour. Les fonds frais se définissent par opposition aux dollars libanais, encore appelés « lollars » et qui sont « lirifiés » par défaut via le mécanisme de la circulaire n°151. La BDL avait effectué cette demande
Réaction de l’Union des déposants
« Malgré la crise, beaucoup de dollars frais ont été injectés dans le secteur bancaire, soit par les Libanais qui ont quitté le pays pendant la crise et qui ont commencé à envoyer de l’argent à leurs familles, soit par ceux qui ont vu une opportunité d’affaire à saisir dans la dépréciation de la livre. La BDL protège la disponibilité des fonds déposés sur les comptes frais, ce qui n’a pas empêché les banques d’imposer des commissions significatives sur les opérations effectuées sur ses comptes. On peut supposer que le produit de ces commissions (entre 5 à 7 pour mille par retrait, selon les établissements) pourrait servir à financer les remboursements annoncés. Mais pour le moment, il n’y a rien de clair », expose-t-elle. Il n’existe pour l’instant pas de données permettant d’évaluer la quantité de « dollars frais » déposée dans des comptes au Liban, ni sur les montants des commissions que les banques ont perçus sur ses comptes.
L’association Union des déposants, qui assiste les clients des banques libanaises qui veulent contester les restrictions qu’ils subissent devant les tribunaux, a pour sa part critiqué l’initiative annoncée par la BDL à plusieurs niveaux. « Tout d’abord, la BDL semble considérer comme acquis que les banques ont souscrit à l’augmentation de capital et le provisionnement en liquidités exigés par la circulaire n° 154 de la BDL. Or pour l’heure, aucun autre élément que la parole donnée de l’institution ne permet de le garantir. De plus, le fait de limiter le remboursement aux dépôts de 25 000 dollars est particulièrement inéquitable pour ceux qui ont des montants plus élevés en banques comme pour ceux qui ont été contraints de retirer en livres une partie de leur dépôts à un taux bien inférieur à celui du marché via la circulaire n°151 » a résumé l’avocat Fouad Debs, cofondateur et membre de l’association, que nous avons contacté.
Dans son communiqué, la BDL a également confirmé que l’intégration prochaine des banques à la plateforme de change Sayrafa aura bien lieu dès que le projet de circulaire préparé par ses services sera approuvé par le ministère des Finances, ce qui a finalement eu lieu aujourd’hui. Le texte a été envoyé la semaine dernière, sur fond de scepticisme concernant cette inclusion des banques dans le circuit de change formel, présenté comme un moyen de renforcer la transparence sur ce marché et de limiter l’influence du marché parallèle. La Banque centrale a enfin justifié la nécessité d’entamer le processus de rationalisation, désormais en marche, des mécanismes de subventions sur certaines importations qu’elle a mis en place depuis le début de la crise et qui sont financés à partir des maigres réserves en devises qu’elle détient encore. Une perspective qui affole la majorité des agents économiques du pays depuis des semaines
« Notre initiative (…) s’inscrit dans une démarche de trouver des solutions alternatives et temporaires, et ne rend pas caduque notre appel lancé aux responsables pour prendre des mesures radicales » afin de redresser l’économie et les finances libanaises a martelé la BDL. Elle a en outre estimé que le pays n’aurait pas pu tenir « aussi longtemps » sans les ingénieries financières lancées ces dernières années pour doper ses réserves. Ces opérations d’échanges de titres de dette publique, considérées comme non-conventionnel par les milieux financiers, ont été menées avec certaines banques entre 2016 et 2018 pour tenter de limiter les déficits chroniques de la balance des paiements du pays.