Grosse semaine de mobilisation pour les déposants libanais, lésés depuis plus d’un an et demi par les restrictions illégales infligées par leurs banques pour limiter l’accès à leurs dépôts, sur fond de crise majeure et de dépréciation de la monnaie nationale, auxquelles sont ajoutés les problèmes liés aux confinement pour cause de coronavirus ou les stigmates de la tragédie du 4 août 2020. Lundi, quatre organisations représentant les intérêts de ces Libanais (traduits en français par Cri des déposants ; Nos dépôts, notre droit ; La Libanaise de défense des droits des déposants ; et Droits des déposants ») se sont liguées pour renforcer leur poids sur la scène publique. Le même jour, l’ONG libanaise Union des déposants appelait la Banque mondiale à revoir les modalités de décaissement du prêt de 246 millions de dollars accordé au Liban par l’institution pour financer le développement d’un filet national de sécurité sociale afin de limiter la possibilité que l’argent soit absorbé par les banques ou les politiciens du pays.
Deux manifestations ont déjà eu lieu cette semaine : une première mardi à l’initiative de l’Association des familles d’étudiants à l’étranger pour demander l’application de la loi votée en octobre 2020 qui contraint les banques à autoriser le transfert d’un montant annuel de 10 000 dollars sur la base d’un taux de 1 515 livres libanaises pour un dollar (la parité officielle plus la marge autorisée des banques) à tout étudiant inscrit à l’étranger pour l’année 2020-2021 ; et une seconde mercredi à l’appel de l’association Cri des déposants, pour un rassemblement devant la direction de la TVA, à Adliyé (Beyrouth). Un troisième rassemblement a été programmé aujourd’hui par l’Union des déposants et une autre organisation assez active sur la scène médiatique, l’Association des déposants, qui en ont fait l’annonce lors d’une conférence de presse mardi. Cette nouvelle manifestation doit démarrer place Riad el-Solh, dans le centre-ville de la capitale, à 15h.
Faillite frauduleuse
Il est objectivement difficile de contester la légitimité de la colère de ces déposants, résidents ou expatriés, tant la majorité des acteurs du secteur bancaire ont multiplié les abus depuis le début de la crise. Une situation favorisée par l’absence de volonté politique – délibérée selon de nombreux experts – de doter le pays d’une loi instaurant un contrôle formel des capitaux, sur le modèle de ce qui a pu être fait dans d’autres pays frappés par une crise économique, financière et de liquidités.
Un tel texte – qui est d’ailleurs considéré comme une réforme urgente par les soutiens internationaux du pays – aurait en effet permis de définir avec exactitude les limites des restrictions pouvant être imposées par les banques, mais aussi de sanctionner les écarts et les passe-droits. Or, profitant de ce vide juridique, les banques compliquent tous le jours un peu plus la tâche de leurs clients qui souhaitent réaliser des transactions à partir de leurs comptes : un dépôt de chèque en « dollars libanais », soit les dollars pouvant être retirés à 3 900 livres jusqu’à fin mars prochain, s’apparente à un parcours du combattant, tout comme les transferts vers l’étranger à partir de ces mêmes fonds, pour ne citer que ces deux aspects. La distinction même entre « dollars libanais » et « dollars frais », ces derniers désignant les « vrais » dollars échangeables sur le marché des changes à 9 500 livres hier et ne pouvant en principe être soumis à aucune restriction, relève également de l’aberration en matière d’orthodoxie financière. Pour parachever le tableau, les banques auraient, avec le concours de la BDL pour certaines, en échappant à son contrôle pour d’autres, facilité la sortie de plusieurs milliards de dollars du pays au détriment des restrictions qu’elles imposent au commun des déposants. En juillet 2020, l’ancien directeur général du ministère des Finances Alain Bifani avait estimé à environ six milliards de dollars les montants transférés dans ces conditions.
Le bout du tunnel est encore loin d’être visible dans la mesure où le secteur bancaire, lui aussi affecté par la crise, est en passe d’être restructuré et que la parité officielle dollar/livre en vigueur depuis 1997 et artificiellement maintenue ces derniers 18 mois devrait bientôt être abandonnée, sans que les conséquences pour les déposants ne soient encore clairement définies.
Une situation qui a convaincu l’Union des déposants de porter plainte contre les banques du pays pour faillite frauduleuse. L’action a été lancée fin janvier et le procureur général a été saisi à cette fin. L’Union souhaite que le dossier soit transféré au Tribunal bancaire spécial, instance créée par une loi de 1967 et dont la mission consiste à gérer l’administration des banques en situation de faillite ou en cessation de paiement. L’ONG espère que les banques seront considérées en cessation de paiement à dater du 17 octobre 2019 – date du début du vaste mouvement de colère populaire dirigé contre la classe politique et dans le sillage duquel les banques ont généralisé la première vague de restrictions.
Conformément à ce que prévoit la loi dans ce domaine, cela permettra aux juges d’enquêter sur une période de 18 mois précédant cette échéance pour détecter les éventuelles irrégularités ayant conduit ou accéléré la faillite des établissements visés. La procédure aura également pour objectif d’empêcher les dirigeants des établissements concernés de liquider frauduleusement leurs actifs et les dépôts de leurs clients.
« Quand on observe la situation de plus près, on constate que 85 % des actifs des banques mis en avant pour vanter leur solvabilité étaient constitués soit de titres de dette publique d’un État à la situation financière fragile ou d’obligations émises par la banque centrale. Or c’est l’argent des déposants qui a provisionné toutes ces transactions défaillantes aujourd’hui », note l’avocat Fouad Debs, membre de l’Union des déposants. « Les ingénieries financières, les profits fictifs, les profits et bonus accordés aux actionnaires et aux membres des administrations, c’était l’argent des déposants », souligne-t-il.
Si rien ne garantit que l’action aboutisse – le parquet a déjà virtuellement enterré une précédente plainte similaire de l’Union déposée en avril –, l’ONG espère toutefois maintenir la pression sur les banques, dont certains agissements ont même mobilisé la justice de pays étrangers.